Contrat de travail

… ou la preuve que les meilleures intentions aboutissent parfois aux pires imbroglios !

Dans un souci de justice et de simplification, la loi Travail du 6 août 2016 a supprimé une différence qui existait depuis plus de 30 ans dans le traitement des situations d’inaptitude médicale. Auparavant, c’était seulement dans les cas d’inaptitude d’origine professionnelle que l’employeur devait solliciter l’avis des délégués du personnel sur les propositions de reclassement destinées au salarié. A compter du 1er janvier 2017 cette obligation a été étendue aux deux types d’inaptitude (C. trav., art. L. 1226-2 et -10).

Puis le CSE est venu remplacer les DP dans ce dispositif (ordonnance du 22 septembre 2017).

Dans un souci de réalisme, la loi Travail a également autorisé le médecin du travail à dispenser l’employeur de recherche de reclassement à condition de mentionner expressément dans l’avis d’inaptitude que « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi » (C. trav., art. L. 1226-2-1 et -12). Auparavant une telle possibilité n’existait que pour les inaptitudes d’origine professionnelle (loi du 17 août 2015).

Tous ces changements réactualisent une question dont la réponse était demeurée incertaine : faut-il solliciter l’avis du CSE y compris lorsque l’entreprise ne peut pas proposer un reclassement au salarié inapte ?

Flux et reflux de la jurisprudence

Dans une logique maximaliste, la Cour de cassation avait jugé que l’employeur était tenu de prendre l’avis des délégués du personnel même s’il était dans l’impossibilité de proposer un reclassement au salarié (Cass. soc., 30 octobre 1991, n°87-43.801 ; Cass. soc., 22 juin 1994, n° 91-41.610), allant ainsi à l’encontre de la lettre du texte (« cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail »).

Puis, dans un arrêt du 5 octobre 2016 (n°15-16782), la Cour a énoncé que « si les dispositions de l’article L. 1226-10 du code du travail exigent que l’avis des délégués du personnel intervienne avant la proposition de reclassement, une telle exigence ne résulte, en l’absence de proposition de reclassement, ni de ce texte, ni de l’article L. 1226-12 du même code ».

Las, dans un arrêt du 30 septembre dernier (n°19-16488), la Cour de cassation semble juger, en rejetant ainsi sa propre motivation du 5 octobre 2016  – adoptée par les juges du fond – que la consultation s’impose même en l’absence de proposition de reclassement. Les faits sont antérieurs à la législation relative au CSE, mais la solution ne semble pas devoir être affectée par le changement d’instance puisque l’obligation demeure prévue dans les mêmes termes.

Quelle logique ?

Par-delà le caractère difficilement acceptable de ces revirements, on souhaiterait que la Cour aie le souci d’éclairer le public (comme elle sait le faire) sur la logique qui justifie cette dernière solution.

Faut-il considérer que la consultation s’impose de manière systématique sur les raisons qui conduisent l’employeur, après recherche et analyse des postes, à proposer un voire des postes, ou à n’en proposer aucun ?

Dans nombre de situations concrètes, la solution aboutit à des conséquences extrêmement critiquables. Prenons l’exemple d’une entreprise n’appartenant à aucun groupe et n’ayant aucun poste à pourvoir : quel sera l’objet de la consultation ? L’imposer n’a aucun sens.

On pourrait de même considérer que, dans le cas où le médecin du travail a exclu dans son avis toute possibilité de reclassement (par l’emploi de l’une des deux formules consacrées), l’employeur est dispensé de se livrer à une telle recherche, et donc dispensé de solliciter l’avis du CSE (dans ce sens : CA Riom, 3 avril 2018, n° 16/01261).

Ou faut-il considérer au contraire – poussant le principe jusqu’à l’absurde – que la consultation s’impose de manière systématique, y compris dans ce cas précis, au risque d’être vidée de toute substance comme de toute portée ?  

Quelle sanction ?

Ces incertitudes sont d’autant plus inquiétantes si l’on considère la sanction qui s’attache au non-respect de l’obligation de consultation du CSE.

Dans les cas d’inaptitude d’origine professionnelle, l’application littérale des textes conduit à sanctionner l’absence de consultation ou l’irrégularité de celle-ci par l’indemnité prévue à l’article L. 1226-15, dont le montant minimum était fixé hier à 12 mois de salaire et aujourd’hui à 6 mois (par renvoi à : C. trav., art. L. 1235-3-1).

Mais dans les cas d’inaptitude d’origine non professionnelle, pour lesquels la consultation des DP / du CSE ne s’impose que depuis le 1er janvier 2017, les textes ne prévoient aucune sanction spécifique… Une demande d’indemnisation formulée par le salarié à ce titre est-elle alors subordonnée à la démonstration par celui-ci d’un préjudice ?

Un autre arrêt rendu le même jour prévoit cependant une sanction différente. Dans cette affaire (il s’agissait en l’espèce d’une inaptitude d’origine non professionnelle), la Cour a retenu que la méconnaissance des dispositions imposant à l’employeur de consulter les représentants du personnel  prive le licenciement de cause réelle et sérieuse au même titre que les autres obligations relatives au reclassement (Cass. soc., 30 septembre 2020 n°19-11.974 FS-P+B+I).

Avec un tel raisonnement, la sanction retenue (qui pourrait s’appliquer quelle que soit l’origine de l’inaptitude, professionnelle ou non) ne se justifie que parce que la consultation du CSE a une portée sur le reclassement. A contrario, lorsque toute possibilité de reclassement est d’emblée exclue, la consultation du CSE, faute de portée réelle, s’impose-t-elle vraiment ?

L’avenir le dira. Prudence et vigilance s’imposent face à ce qui s’apparente à un « resserrage de vis » de la Cour de cassation.