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Le dialogue social a un prix, tant pour l’entreprise dont il mobilise une part de l’énergie, que pour les représentants des salariés, élus ou membres de syndicats. Pour ces derniers, la perception de cotisations est essentielle, elle participe à leur financement et constitue un critère de leur représentativité (C. trav. art. L. 2121-1, 7°). Pour autant, compte tenu du faible taux de syndicalisation observé en France, cette ressource risque d’être difficile à capter.

Or, pour qu’il y ait dialogue, il faut un interlocuteur. De la faiblesse à l’absence, il n’y a parfois qu’un pas…

Qu’est-ce que le « chèque syndical » ?

Dans ces conditions, la participation de l’entreprise au financement des organisations syndicales, qui peut prendre la forme d’un « chèque syndical » est une question qui mérite d’être posée. Elle n’est pas nouvelle. Dès les années 90, les partenaires sociaux ont mis en place, au sein d’une célèbre compagnie d’assurances, la technique du chèque syndical : un employeur met à disposition de ses salariés une somme qu’ils peuvent (ou non) adresser à l’organisation syndicale (OS) de leur choix (V. N. Notat, A propos de l’accord Axa, Dr. Social 1991, p. 93).

Depuis lors, la question de la contribution des entreprises au financement des syndicats a pu donner lieu à quelques décisions contentieuses attestant de son existence et des contestations auxquelles elle peut donner lieu.

Accord de mise en place d’une participation de l’entreprise au financement des OS : quel contenu ?

La Cour de cassation a ainsi estimé qu’un accord collectif pouvait prévoir des règles de répartition inégalitaires « d’une contribution au financement du dialogue social entre les organisations syndicales représentatives, dès lors, d’une part, que cette répartition n’a ni pour objet ni pour effet d’imposer à quiconque l’adhésion ou le maintien de l’adhésion à une organisation syndicale, aucune organisation syndicale représentative n’en étant exclue, et que, d’autre part, la différence de traitement est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables liées à l’influence de chaque syndicat dans le champ de l’accord » (Cass. soc., 10 oct. 2007, n°05-45.347). En revanche, cette contribution ne peut être réservée au seul signataire d’un accord collectif l’instituant (Cass. soc., 29 mai 2001, n°98-23078).

Un arrêt rendu le 27 janvier dernier (Cass. soc., 27 janvier 2021, n°18-10672, FP-P+R) poursuit la construction de cet édifice jurisprudentiel. Dans un attendu qui prend la forme d’un principe, le juge de cassation précise qu’un tel accord dont l’objectif affiché va au-delà du simple financement du dialogue social et consiste à encourager l’adhésion des salariés aux organisations syndicales, en prenant en charge une partie du montant des cotisations syndicales doit :

  • Ne porter aucune atteinte à la liberté du salarié d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat de son choix ;
  • Ne pas permettre à l’employeur de connaitre l’identité des salariés adhérant aux OS ;
  • Bénéficier tant aux syndicats représentatifs qu’aux syndicats non représentatifs ;
  • Ne pas porter sur la totalité de la cotisation due par le salarié (au regard du critère d’indépendance).

L’accord litigieux réservait l’accès au financement aux seules organisations représentatives – c’est la cause de la « suspension » de l’application de la clause prévoyant le remboursement des cotisations versées. Le juge a considéré que la seule qualité de syndicat suffisait à se voir reconnaitre un droit au financement. La solution mérite d’être prise en considération pour examiner les accords actuellement en vigueur et ceux qui pourraient être négociés. Il convient d’éviter la mise en place d’un système de financement incitant à la constitution artificielle d’OS produisant, par voie de conséquence, un émiettement de la représentation syndicale d’entreprise.

Quelles conséquences tirer de l’arrêt du 27 janvier 2021 ?

La solution ne remet pas nécessairement en cause les précédents arrêts, notamment celui de 2007 : les partenaires sociaux ne sont pas tenus de verser à toutes les OS le même montant. Il semble donc encore possible de verser une somme plus importante aux syndicats qui sont représentatifs et ont, notamment, pour mission de participer au dialogue social.

La règle formulée révèle une différence entre la démocratie politique où les deniers publics peuvent ne pas financer certains partis, en fonction de critères objectifs et la démocratie sociale où l’employeur doit les financer tous.