Contrat de travail

Lorsqu’on est en désaccord avec un avis émis par le médecin du travail, saisir le Conseil de prud’hommes (CPH) relève à la fois de l’exercice d’un droit et du saut dans l’inconnu. Plusieurs décisions récentes de la Cour de cassation permettent d’y voir (un peu) plus clair.

Depuis le 1er janvier 2017, le CPH est compétent pour trancher les contestations portées contre les avis du médecin du travail (auparavant il s’agissait de l’inspecteur du travail). Le CPH exerce cette mission dans le cadre d’une procédure bien spécifique (dite « accélérée au fond ») (C. trav., art. L. 4624-7 et R. 464-45 et s.).

Plusieurs fois modifié et adapté (9 textes en moins de 4 ans), ce nouveau recours soulève de nombreuses interrogations, difficultés voire réticences.  

Question 1 : pourquoi contester ?

Le recours peut porter sur les « avis, propositions, conclusions écrites ou indications » émis par le médecin du travail (C. trav., art. L. 4624-7). En pratique, on peut distinguer quelques cas typiques.

Cas n°1 : contestation des aménagements

Situation : le médecin du travail, sans déclarer le salarié inapte à son poste, émet des propositions d’aménagement voire de transformation du poste (C. trav., art. L. 4624-3), et le salarié ou l’employeur est en désaccord avec ces propositions.

Pour l’employeur, l’enjeu consistera soit à alléger les contraintes résultant de ces propositions, soit plus radicalement à faire constater que le salarié est en réalité inapte à son poste.

Exemples :

  • un salarié d’un casino travaillant de nuit est apte à travailler mais de jour (Cass. soc. 24 mars 2021, n° 19-16558) ;
  • un pilote de ligne, déclaré par le Conseil médical de l’aéronautique civile comme inapte à exercer la profession de personnel naviguant, est déclaré par le médecin du travail apte à un travail … au sol (Cass. soc. 26 janvier 2021, n° 19-20.544) ;
  • un commercial dont le secteur couvre quatre départements est apte à travailler sous réserve de ne pas conduire plus d’une heure par jour.

En l’état du droit, seule constitue un motif de licenciement expressément admis une situation d’inaptitude doublée d’une impossibilité de reclassement (C. trav., art. L. 1226-2-1 et L. 1226-12).

Le droit n’offre pas de solution claire en cas d’impossibilité de procéder aux aménagements proposés par le médecin dans le cadre d’une « aptitude partielle » au poste (ex : Cass. soc., 6 févr. 2013, n° 11-28.038).

Il faudrait que ce problème fondamental soit résolu. S’il était simplement admis que l’impossibilité de procéder aux aménagements proposés par le médecin constitue un motif de licenciement, bien entendu en l’absence d’alternative (reclassement), cela éviterait bien des débats inutiles sur la distinction entre inaptitude et aptitude.

Cas n° 2 : contestation de l’inaptitude

Le médecin du travail déclare le salarié inapte à son poste, et le salarié (plus rarement l’employeur) est en désaccord avec cet avis.

Pour le salarié, l’enjeu consistera à conserver son poste (sans reclassement ni licenciement), moyennant des aménagements.

Pour l’employeur, la situation est très inconfortable. Même si le recours n’est pas suspensif, il est dangereux de procéder à un licenciement dans ce contexte puisque si l’avis d’inaptitude se trouvait démenti par le juge, a posteriori le bien-fondé du licenciement pourrait s’en trouver affecté. Pendant ce temps, la reprise du paiement du salaire pèse sur l’entreprise (C. trav., art. L. 1226-4 et L. 1226-11).

Cas n° 3 : contestation de la possibilité de reclassement

Le médecin du travail déclare le salarié inapte à son poste, émet des indications en termes de reclassement sur un autre poste (C. trav., art. L. 1226-2 et L. 1226-10), et le salarié ou l’employeur est en désaccord avec ces indications.

Pour le salarié, l’enjeu consistera à favoriser son reclassement, en relâchant les contraintes médicales pesant sur les possibilités de reclassement.

Pour l’employeur, l’enjeu est moins évident, mais il peut, par exemple, tendre à éviter qu’un salarié soit reclassé dans un poste auquel il n’est pas apte.

Dans toutes ces situations, celui qui agit n’agit pas contre le médecin du travail (celui-ci n’est pas même pas partie au litige, C. trav., art. L. 4624-7), mais contre l’autre partie au contrat de travail (si l’employeur agit, il agit contre le salarié, et vice versa).

De même, dans tous les cas, la procédure spéciale oblige le CPH à substituer sa décision à l’avis formulé par le médecin du travail (C. trav., art. L. 4624-7).

C’est là un point important : le CPH ne peut pas se contenter d’annuler l’avis du médecin du travail ou le déclarer inopposable à l’égard de celui qui agit (Cass. soc., avis n° 15002, 17 mars 2021). Il doit trancher la question posée et décider dans les mêmes conditions que le médecin du travail, ce qui lui offre plusieurs possibilités :

  • confirmer purement et simplement l’avis contesté ;
  • substituer à l’avis contesté une décision allant dans un sens radicalement différent (exemple : juger apte celui qui était déclaré inapte) ;
  • modifier plus ou moins substantiellement le sens de l’avis.

Et dès lors on mesure donc bien l’aléa qui entoure l’issue de ce litige. Exercice d’un droit ou saut dans l’inconnu ? Tout dépend des conditions dans lesquelles le débat sera organisé et le juge amené à se prononcer.

A suivre …