Covid-19

La crise engendrée par l’épidémie de Covid-19 a mis à mal les résultats de nombreuses entreprises et, pour certaines, l’heure est désormais à la réorganisation et la réduction des coûts salariaux. Quels sont les outils juridiques actuellement mobilisables, notamment pour éviter un PSE ? Le point avec Arnaud Teissier.

Durant le confinement, les entreprises ont prononcé peu de licenciements économiques. Pour quelle raison ?

En l’état du droit, il n’existe pas d’instrument juridique permettant d’interdire la mise en œuvre de procédures de licenciement pour motif économique. La réponse est donc ailleurs.La mise à l’arrêt brutale de très nombreuses entreprises a imposé une réaction sans précédent des pouvoirs publics. Face à l’ampleur de la crise, pour amortir les effets de la chute d’activité qu’ont subi (et que subissent encore) de très nombreuses entreprises, le gouvernement a mis en place un dispositif massif de soutien à l’emploi, à travers un dispositif d’activité partielle fortement stimulé. Selon les termes mêmes de l’article 11 de la loi du 23 mars 2020 (loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19), la volonté du législateur était « de limiter les ruptures des contrats de travail et d’atténuer les effets de la baisse d’activité, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle pour toutes les entreprises quelle que soit leur taille ». L’objectif premier de l’activité partielle est effectivement d’éviter que des perturbations conjoncturelles ne se traduisent par des licenciements économiques. L’activité partielle trouve d’ailleurs concrètement sa place dans le Code du travail parmi les mesures de « maintien et sauvegarde de l’emploi ». Pour l’heure, le recours massif à ce dispositif a pleinement assuré son rôle de « paratonnerre » pour l’emploi.

Le recours à l’activité partielle peut-il durablement éviter des licenciements économiques ?

À l’exception des secteurs d’activité qui restent encore lourdement handicapés par les mesures sanitaires (restauration, tourisme, sport, etc.), le support de l’activité partielle a vocation à se réduire pour bon nombre d’entreprises. La reprise de l’activité est engagée, mais toutes les difficultés sont loin d’être levées. En raison de la dégradation de leurs résultats, de nombreuses entreprises vont devoir envisager d’adapter leurs organisations, de réévaluer leurs coûts. La maîtrise de la masse salariale va rapidement conduire un certain nombre d’entre elles à s’interroger sur de possibles licenciements économiques. Pour la plupart des entreprises, le recours à l’activité partielle ne s’est accompagné d’aucune obligation de souscrire un engagement en matière d’emploi. Si elles procèdent à des licenciements pour motif économique, elles ne seront donc pas tenues, en principe, de rembourser les allocations versées.

Pour accompagner les réorganisations qui s’annoncent inéluctables, existe-t-il une ou des alternatives au PSE ?

Il n’existe pas une recette unique pour accompagner une restructuration dans le contexte que nous connaissons. Le législateur offre une palette de solutions qu’il est possible de mobiliser, voire de combiner, en fonction des paramètres existants (exigence de temps, climat social, présence de partenaires sociaux, culture de négociation, etc.).

Schématiquement, la question de la réduction des coûts salariaux peut être envisagée de deux manières : à travers une réduction d’effectifs ou une diminution du montant de la rémunération (diminution du salaire de base, suppression ou baisse de primes, etc.).

Quels instruments pour mettre en œuvre une réduction d’effectifs ?

La réduction d’effectifs peut bien évidemment être réalisée par la mise en œuvre d’un PSE. C’est d’ailleurs la voie qui sera privilégiée lorsqu’il existe une contrainte de temps, une nécessité de devoir agir rapidement, dans un temps contrôlé.

Le plan de départ volontaire (PDV) est une variante du PSE, socialement moins impactante car il permet d’éviter ou de limiter les licenciements « contraints ». Le PDV peut être autonome : seuls des départs volontaires seront réalisés, peu important qu’ils ne permettent pas d’atteindre l’objectif de réduction d’effectifs. Le PDV peut encore être « multifonction » : il est alors envisagé comme la première séquence d’un PSE, les critères d’ordre des licenciements n’étant appliqués que si, au terme d’une période d’appel à candidatures, le nombre de volontaires est inférieur à la cible d’effectifs supprimés.

La rupture conventionnelle collective (RCC) se rapproche du PDV en ce qu’il permet d’envisager une réduction d’effectifs par appel au volontariat. La RCC répond à un régime propre et s’envisage uniquement dans le cadre d’un accord collectif. Elle suppose donc de parvenir à convaincre les organisations syndicales majoritaires. L’entreprise qui conclut une rupture conventionnelle collective s’interdit de procéder à des licenciements pour atteindre le nombre de suppressions d’emplois envisagé si le nombre de volontaires est insuffisant, ce qui peut constituer un élément déterminant de la signature syndicale.

Quelles autres solutions envisager pour parvenir à réduire la masse salariale ?

Pour de nombreuses entreprises, la réduction d’effectifs ne sera pas une réponse adaptée, notamment parce qu’elle va conduire à une perte de compétences, de savoir-faire qui feront défaut lorsque le niveau d’activité sera restauré. Il faut donc envisager des mesures alternatives aux suppressions de postes.

L’accord de performance collective (APC) est un instrument juridique qui permet de pouvoir atteindre cet objectif. Il s’agit effectivement d’un instrument de maîtrise et/ou d’optimisation d’une organisation et de ses coûts. Les dispositions négociées dans l’accord collectif (qui peuvent porter sur l’aménagement du temps de travail, la rémunération ou la mobilité) s’imposent aux clauses contraires des contrats de travail des salariés. Il est donc possible, par exemple, d’imposer une réduction de salaire. Les salariés peuvent s’opposer à la modification de leur contrat de travail résultant de l’application de l’accord, mais ce refus est constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, non économique, et en principe non contestable en justice. Cette mécanique ne peut s’envisager que dans le cadre d’un accord collectif. Toutefois, dans les circonstances que nous traversons, la sauvegarde de l’emploi peut être un élément de nature à favoriser la conclusion de tels accords.

Au-delà d’un APC, il est encore possible, par la voie de la négociation collective, de réduire les coûts salariaux. Depuis la loi Travail et les ordonnances Macron, l’accord d’entreprise peut déroger sur l’essentiel des thématiques aux dispositions de la convention collective de branche. L’objectif est de négocier un accord d’entreprise comportant des dispositions « moins favorables » que celles de l’accord de branche en vigueur (dans les domaines autorisés). Ces « dérogations » peuvent être temporaires ou définitives et se traduire par la suppression d’un avantage, sa modulation, sa réduction, etc.

Article initialement paru dans Liaisons sociales quotidien du 9 juin 2020